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Beaulieu, le charme d’un château en Provence magnifié par Pierre Guénant

Publié le , par Vanessa Schmitz-Grucker
Vente le 29 mai 2024 - 18:00 (CEST) - 5, rue Vincent Courdouan - 13006 Marseille
Cet article vous est offert par la rédaction de la Gazette

Choyé par son propriétaire esthète, Pierre Guénant, le château de Beaulieu joue de son charme provençal tout en cultivant des airs de palais vénitien.

Attribuées à Jean Joseph Foucou (1739-1815), deux grandes figures en marbre représentant... Beaulieu, le charme d’un château en Provence magnifié par Pierre Guénant
Attribuées à Jean Joseph Foucou (1739-1815), deux grandes figures en marbre représentant des bacchantes, fin XVIIIe - début XIXe siècle, h. 97 et 99 cm.
Estimation : 15 000/20 000 

À une vingtaine de minutes d’Aix-en-Provence, le château de Beaulieu a vu défiler entre ses murs et sur ses terres de prestigieuses familles. Érigé en fief par Henri III en 1576, le domaine est longtemps resté entre les mains des comtes de Provence. Nichée dans le cratère d’un ancien volcan aujourd’hui parsemé de lavande, de vignobles et d’oliviers, la bâtisse déploie fièrement ses airs méditerranéens, sous influences régionales mais aussi transalpines. Pierre Guénant (1950-2022) prend possession des lieux en 2001. L’industriel originaire de Charente limousine, président du Medef de sa région de 2004 à 2010, avait fait fortune dans l’automobile, débutant chez Heuliez puis Citroën, avant de devenir le premier distributeur automobile français et européen. En 2000, il cède le contrôle de son groupe – pesant jusqu’à 3 Md€ de chiffre d’affaires – à la famille Porsche, songeant probablement déjà à sa reconversion dans le vin. Le château de Beaulieu, sur les coteaux d’Aix, dans le village de Rognes, lui offre une occasion inespérée de concrétiser ce rêve. Pierre Guénant transforme le bâtiment du XVIIe, de style Renaissance, pour en faire un lieu d’œnotourisme haut de gamme, doté de onze chambres d’hôtes. Il rassemble du mobilier spécialement choisi pour l’endroit, dans un esprit «bois doré» que l’on pourrait qualifier d’italo-provençal, dominé par le baroque et ses lignes rocaille. Ce sont aujourd’hui près de cent lots offerts aux enchères, pour une estimation totale de 400 000/500 000 €.
 

Italie, Venise, milieu du XVIIIe siècle. paire de grands miroirs en bois doré, h. 250, l. 135 cm environ (un reproduit). Estimation : 30 0
Italie, Venise, milieu du XVIIIe siècle. paire de grands miroirs en bois doré, h. 250, l. 135 cm environ (un reproduit).
Estimation : 30 000/50 000 


Esprit du Sud

Cultivé et sensible, Pierre Guénant était un habitué des salles des ventes. C’est son voisin aixois Pierre Vasarely, à la tête de la Fondation défendant l’œuvre de son aïeul, qui en parle le mieux dans la préface du catalogue de la vente  : « Amateur éclairé, visionnaire, Pierre nous a quittés prématurément, laissant derrière lui un héritage riche en histoires et en beautés. Les meubles et effets qui ornaient jadis son domaine, choix d’une vie, témoignent de son goût et de son appréciation pour les belles choses. Je me souviens de la passion avec laquelle Pierre me présentait ses objets, avec sa connaissance approfondie du XVIIIe siècle. » Préservant l’unicité et la riche histoire patrimoniale des lieux, il aménage œuvres et objets de collection du grand salon au salon de musique – où se trouvait un exceptionnel clavecin aux armes des familles florentines Orlandini et Corsini (voir encadré page 23) – en passant par le grand escalier, le jardin à la française et son grand bassin, la salle à manger, la bibliothèque, l’orangerie ou encore la chapelle. Il acquiert ainsi en salle des ventes, en 2008, pour l’escalier, deux figures de bacchante en marbre (15 000/20 000 €, reproduit page de droite), hautes de près d’un mètre, attribuées à Jean Joseph Foucou. Celle représentant Érigone contemplant une grappe de raisin pourrait être, selon le catalogue de l’exposition consacrée à Clodion en 1992 au musée du Louvre, la figure présentée par Foucou au Salon de 1806. Le clin d’œil au raisin et à la vigne se retrouve également dans une table console en bois doré, d’époque Louis XV (5 000/8 000 €), qui reçoit un décor de pampres sous un dessus de marbre de Sarrancolin. Si le mobilier français trouve sa place à travers de célèbres estampilles, dont celle de Pierre Roussel sur un bureau plat Louis XV en bois de rose et de violette (15 000/20 000 €), les coups de cœur de notre amoureux des arts restaient largement dominés par l’esprit italien.
 

Époque Louis XV. Bureau plat en bois de rose et bois de violette, bronzes dorés, estampille de Pierre Roussel et JME, 79 x 133 x 76,5 cm.
Époque Louis XV. Bureau plat en bois de rose et bois de violette, bronzes dorés, estampille de Pierre Roussel et JME, 79 x 133 x 76,5 cm.
Estimation : 15 000/20 000 


Sérénissime…

Lorsque vous entriez dans le grand salon, de part et d’autre de la cheminée, deux grandes consoles provençales d’époque Louis XV, l’une au plateau de marbre brèche gris, l’autre de marbre de Sarrancolin (5 000/8 000 € chaque), surmontées de deux spectaculaires miroirs vénitiens, donnaient le ton à la pièce. Ces derniers, du XVIIIe siècle et foisonnants de détails, cachant oiseaux et animaux sous des arches de pierre et de verdure, rappellent les grandes heures du mobilier des vastes demeures italiennes et des palais vénitiens. Pierre Guénant acquiert d’ailleurs, en 2009, toute une série de meubles et d’objets provenant du palazzo Contarini-Corfù, à quelques pas de la place Saint-Marc, sur le prestigieux Grand Canal, construit au XVe siècle par l’architecte vénitien Vincenzo Scamozzi (1548-1616). Ce lieu abritait quatre chaises de la Toscane du XVIIe siècle, au décor de personnages de la comédie italienne (2 000/3 000 €), quatre fauteuils en noyer de la Venise du début du XVIIIe (5 000/7 000 €), une paire de chenets du XIXe siècle dans le style italien du XVIe (300/500 €) et une hallebarde en acier, de Venise encore, mais du XVIIe (1 500/2 000 €). Plusieurs hallebardes similaires sont aujourd’hui conservées au musée Correr, dans la cité des Doges. Dans le salon de musique, le prestige transalpin se déployait à travers le clavecin déjà cité, élégamment associé à du mobilier français : on y trouvait une table en marqueterie au décor de vase de fleurs, en partie d’époque Louis XV (8 000/12 000 €), mais aussi un tapis à la manière de la manufacture royale de la Savonnerie, de style Louis XV, bordé de fleurs de lys (3 000/5 000 €). Un ensemble raffiné qui déclinait avec force le bon goût de Pierre Guénant.
 

Concerto italien pour un clavecin

Datant de la fin du XVIIe siècle ou du début du suivant, cet instrument richement décoré arbore les armes de deux éminentes familles florentines : les Orlandini et les Corsini.
Dans la collection de mobilier et d’objets d’art du château de Beaulieu, un remarquable clavecin italien, fabriqué peut-être à Florence entre la fin du XVIIe et le début du XVIIIe siècle, retient l’attention. S’il a déjà été mis en vente aux enchères par la maison Baron Ribeyre en novembre 2006, avec comme indication de provenance un château bordelais, les armoiries qui figurent au revers du rabat nous renvoient à deux illustres familles florentines : les Orlandini et les Corsini. Le blasonnement de ces armes peut se formuler ainsi : parti, au premier, d’azur au lambel de gueules, à trois boucs au naturel posés en pal, les deux du chef affrontés, au second, bandé d’argent et de gueules de huit pièces à la fasce d’azur chargée d’un écusson aussi d’azur, à trois fleurs de lys d’or, bordé du même, brochant. À ce sujet, soulignons que Filippo Corsini avait ajouté les trois lys au blason de sa famille en 1405, après avoir obtenu les privilèges de Charles VI, roi de France. Rappelons également que la famille Orlandini s’était éteinte en 1664 à la mort de son dernier membre, Fabio di Giovanni. Giovanbattista di Girolamo Corsini (1659-1717) prit alors le nom et les armes des Orlandini par fideicommissum, une disposition testamentaire conservatoire du patrimoine familial. Mécène, amateur d’art et époux d’Olimpia di Patrizio Patrizi, Giovanbattista fit décorer à Florence le palazzo Orlandini par des peintres réputés de la cité tels qu’Alessandro Gherardini et Anton Domenico Gabbiani. Aussi peut-on supposer que cet instrument lui a appartenu.
 
Italie, probablement Florence, fin du XVIIe - début du XVIIIe siècle. Clavecin à cinq pieds en bois peint et doré, le revers du rabat aux
Italie, probablement Florence, fin du XVIIe - début du XVIIIe siècle. Clavecin à cinq pieds en bois peint et doré, le revers du rabat aux armes d’alliance des familles Orlandini et Corsini, le clavier en buis et amourette à quatre octaves, la caisse intérieure en cyprès à double chevalet et double sillet, la rosace en parchemin probablement rapportée à une date ultérieure; un tiroir à partitions sous le clavier, instrument restauré dans les années 1980 par Anthony Sidey, 93 197 84 cm. M. Dayot, expert.
Estimation : 40 000/60 000 

L’union des opposés
Outre ses nobles origines, il faut ajouter que notre clavecin a été restauré dans les années 1980 par Anthony Sidey et Frédéric Bal, deux facteurs d’instruments de renom. Sidey a collaboré notamment avec le musée de la Musique, à Paris, ainsi qu’avec des figures emblématiques de la musique baroque, comme Nikolaus Harnoncourt. Ce clavecin en bois peint et doré présente un clavier en buis et amourette à quatre octaves, dont l’étendue a été prolongée par l’ajout d’une note dans les basses (ce que l’on appelle aussi «ravalement»). En dessous, un tiroir à partitions est intégré dans une frise de rinceaux dorés. La caisse intérieure, en cyprès, abrite quant à elle un double chevalet et un double sillet, ainsi qu’une rosace en parchemin (certains de ces éléments ont sans doute été réalisés ultérieurement). Le tout repose sur un piétement à cinq pieds en double balustre, dont l’ornementation semble plus récente. Malgré quelques petits accidents, cet objet rayonne dans toute sa splendeur, notamment grâce à de somptueux décors, et peut encore être joué. Les scènes historiées qui l’embellissent font probablement allusion au personnage d’Apollon, dieu de la musique et protecteur des troupeaux. Sur la pointe de l’instrument, on le voit assis à côté de son arc et ses flèches, la tête ceinte d’une couronne de laurier, et en présence d’un angelot qui rappelle Cupidon. Les neuf femmes figurant sur le couvercle et le rabat (peut-être les Muses) semblent renforcer cette hypothèse. Empreintes de douceur et de calme, ces scènes prennent vie au son de la musique qui émane de divers instruments (harpe, trompette, violon, guitare, orgue portatif, etc.). Cette harmonie se prolonge dans la représentation de fleurs, de fruits et d’oiseaux aux couleurs chatoyantes, dont un beau couple de perroquets. Des grotesques, figures fantaisistes tantôt extravagantes, tantôt menaçantes, viennent néanmoins s’inscrire en marge de ces paisibles images. Ces « difformités monstrueuses », décrites par Vasari et représentées entre autres par Bernardino Poccetti (dit aussi Bernardino delle Grottesche) dans le palazzo Orlandini, sont incarnées par exemple par des figures mi-humaines, mi-végétales. Si la plus imposante est représentée au revers du couvercle, près de cette «grotte» qu’est la caisse de résonance, les deux visages aux longues moustaches qui se trouvent sur la pointe de l’instrument frappent par leur regard vigilant, voire inquiet. De ce clavecin transparaît ainsi la quête d’un équilibre entre le rationnel et l’irrationnel, l’harmonieux et le difforme : en d’autres termes, l’apollinien et le dionysiaque. Pietro Milli

Pierre Guénant
en 5 dates

1950
Naît à Saint-Christophe, en Charente-Maritime

1976
Commence sa carrière dans l’automobile chez Heuliez

2001
S’installe au château de Beaulieu
 
2003
Finance l’achat par le Louvre d’un décor d’Oudry

2004
Prend la tête du Medef de Poitou-Charentes
mercredi 29 mai 2024 - 18:00 (CEST) - Live
5, rue Vincent Courdouan - 13006 Marseille
De Baecque et Associés